La détention provisoire
Page rédigée par Juliette Guénal
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Si «toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre», l’instruction peut rendre nécessaire une limitation de cette liberté. Plusieurs mesures peuvent être prononcées à cette fin, chacune répondant au principe de proportionnalité et de nécessité. Ainsi, s’il est nécessaire de limiter la liberté d’un individu, devra d’abord être envisagé le prononcé d’un contrôle judiciaire, s’il est insuffisant, d’une assignation à résidence avec surveillance électronique puis, en dernier lieu et à titre exceptionnel, celui d’une détention provisoire (article 137 code de procédure pénale).
La détention provisoire est une mesure privative de liberté permettant de placer une personne en maison d’arrêt avant qu’elle ne soit jugée. Elle est prévue aux articles 143-1 à 148-8 du Code de procédure pénale.
Les mineurs de 13 ans révolus pourront également être placés en détention provisoire. Ce placement sera soumis à des conditions particulières décrites à l’article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquance en vigueur jusqu’au 31 mars 2021.
Chiffres clés de la détention provisoire en France
Exceptionnelle en théorie, la détention provisoire demeure une mesure fréquemment utilisée en France. Ainsi, au 1er janvier 2020, il y avait en France 21 075 détenus à titre provisoire contre 16 549 au 1er janvier 2015 (soit 29% de la population carcérale).
En France en 2015, la durée moyenne de la détention provisoire était de 27,5 mois en matière criminelle (soit plus de deux ans passé en détention) et de 4 mois en matière correctionnelle1. Ces détentions assez longues ont d’ailleurs valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de son article 5§3, plus précisément du droit d’être jugé dans un délai raisonnable (voir par exemple CEDH 3 oct. 2013, Vosgien c. France, req. n° 12430/11).
Sources:
"La France est-elle vraiment malade de la détention provisoire?", Dalloz actualités, Thomas Cassuto, 18 avril 2020
Statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe, 2019
Rapport de la Commission de suivi de la détention provisoire, 2017-2018 (Ministère de la justice)
Les conditions du placement en détention provisoire
Conditions relatives au destinataire de la mesure
L’article 143-1 du code de procédure pénale soumet le placement en détention provisoire à plusieurs conditions relatives au destinataire de la mesure.
Pour pouvoir faire l’objet d’une telle mesure, il faut préalablement avoir été mis en examen par le juge d'instruction selon la procédure décrite à l’article 80-1 du code de procédure pénale.
En outre, le destinataire doit :
Soit encourir une peine criminelle ;
Soit encourir une peine correctionnelle d’une durée supérieure ou égale à 3 ans d’emprisonnement ;
Soit s’être volontairement soustrait aux obligations de son contrôle judiciaire ou à son assignation à résidence avec surveillance électronique, et ce quelque soit la peine encourue.
Dans cette hypothèse, le Juge d’instruction ou le Procureur de la République pourront saisir le juge des libertés et de la détention aux fins d’un placement en détention provisoire selon la procédure décrite à l’article 141-2 du code de procédure pénale.
La saisine du juge des libertés et de la détention
L’article 137-1 du code de procédure pénale prévoit qu’il revient au Juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la pertinence d’un placement en détention provisoire à l’issue d’un débat contradictoire. Ce dernier doit être saisi par une ordonnance motivée du Juge d’instruction accompagnée du dossier et des réquisitions du Procureur de la République concernant cette privation de liberté.
Si le Juge d’instruction est défavorable à un tel placement, il peut refuser de transmettre les réquisitions du Procureur au Juge des libertés et de la détention. Alors, le Procureur pourra outrepasser ce refus et directement saisir le Juge des libertés et de la détention aux conditions particulières décrites à l’article 137-4 du code de procédure pénale.
La décision du juge des libertés et de la détention
Une fois saisi, le juge des libertés et de la détention fera comparaitre devant lui le mis en examen assisté de son avocat, s’il en a un. A cette occasion, il parcourra les éléments du dossier et pourra recueillir des observations de la part du mis en examen et son avocat le cas échéant.
S’il envisage un placement en détention provisoire, le juge devra en informer le mis en examen, cette mesure ne pouvant être prononcée qu’à l’issue d’un débat contradictoire public avec représentation obligatoire (vous trouverez les exceptions à cette obligation de publicité à l’article 145 al.4 du code de procédure pénale).
Le mis en examen pourra alors exiger de bénéficier d’un délai lui permettant de trouver un avocat et de préparer sa défense. Alors, le juge pourra ordonner l’incarcération du mis en examen pendant une durée maximale de 4 jours (article 145 al.6 du code de procédure pénale).
Le Juge des libertés et de la détention ne pourra prononcer ou prolonger la détention provisoire que s’il démontre, en s’appuyant sur des éléments de fait et de droit tirés du dossier, qu’il s’agit de l’unique mesure susceptible de satisfaire à l’un ou plusieurs des sept motifs énumérés à l’article 144 du code de procédure pénale.
Motifs de placement en détention provisoire
Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
Protéger la personne mise en examen ;
Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;
Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle.
La durée de la détention provisoire
La détention provisoire est encadrée par des délais légaux qui varient selon que l’infraction en cause est de nature criminelle ou correctionnelle.
En outre, la durée de la privation de liberté ne devra pas excéder un « délai raisonnable ».
En matière correctionnelle
L’article 145-1 du code de procédure pénale pose le principe selon lequel, en matière correctionnelle, la détention provisoire ne peut excéder quatre mois.
Le juge des libertés et de la détention pourra toutefois prolonger cette détention de quatre mois par une ordonnance motivée prise à la suite d’un débat contradictoire à l’occasion duquel l’avocat du mis en examen a été dument convoqué dans deux hypothèses :
Lorsque le mis en examen a déjà été, par le passé, condamné pour un crime ou un délit de droit commun, à une peine criminelle ou d’emprisonnement sans sursis d’une durée supérieure à un an
Lorsque la peine encourue par le mis en examen est supérieure à cinq ans d’emprisonnement
Cette prolongation sera renouvelable une fois par le juge des libertés et de la détention suivant la même procédure sans que le délai total de détention ne puisse excéder un an.
La durée totale de la détention provisoire sera portée à deux ans quand l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national ou quand la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction faisant encourir 10 ans d’emprisonnement, commise en bande organisée.
En outre, la Chambre de l’instruction pourra renouveler l’ordonnance pour quatre mois en plus des deux ans à titre exceptionnel par une décision motivée.
En matière criminelle
L’article 145-2 du code de procédure pénale prévoit le principe selon lequel la détention ne peut excéder un an.
Toutefois, le juge des libertés et de la détention peut la prolonger pour six mois maximum par une ordonnance motivée prise à la suite d’un débat contradictoire auquel l’avocat du mis en examen aura été dument convoqué.
Cette prolongation est renouvelable une fois dans les mêmes conditions.
La durée maximale de la détention est de deux ans quand la peine encourue est inférieure à 20 ans, mais elle est portée à trois ans dans les autres cas.
Ces maximums sont respectivement portés à trois et quatre ans quand l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis à l’étranger.
L’article contient une liste d’infractions portant la durée maximale de la détention à quatre ans en tout état de cause.
La Chambre de l’instruction peut, en outre, prolonger la détention provisoire de quatre mois supplémentaires, prolongation renouvelable une fois, quand l’instruction doit être poursuivie et que «la mise en liberté du détenu causerait pour la sécurité des personnes ou des biens un risque d’une particulière gravité».
Cumul des durées
Dans le cas d’un placement en détention provisoire suite à la révocation d’un contrôle judiciaire accordé à une personne antérieurement placée en détention provisoire pour les mêmes faits, la durée cumulée des détentions ne peut excéder de plus de 4 mois la durée maximale de la détention prévue aux articles 145-1 et 145-2 (article 145-3 du code de procédure pénale).
État d’urgence sanitaire
En période d’état d’urgence sanitaire, les détentions provisoires peuvent être prolongées d’office (article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19) :
Pour 2 mois en matière correctionnelle quand la peine encourue est inférieure ou égale à 5 ans
Pour 3 mois dans les autres cas
Pour 6 mois en matière criminelle ou en matière correctionnelle pour l’audiencement des affaires en Cour d’appel
Ces prolongations ne seront toutefois régulières qu’à condition qu’un juge judiciaire statue à leur propos dans de brefs délais (arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation 26 mai 2020 n°20-81.971, n°20-81.910).
L’exigence d’une durée raisonnable
L’article 145-1 du code de procédure pénale dispose que la détention provisoire ne peut pas excéder une « durée raisonnable ».
Ce calcul prend en compte la gravité des faits reprochés et la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité.
Dès que la durée de détention est déraisonnable au regard de ces facteurs ou que le motif de placement n’existe plus, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne.
L’appréciation du caractère raisonnable ou non de la durée de la détention est une appréciation souveraine des juges du fond : cela signifie que la Cour de cassation se contente de vérifier qu'une telle appréciation a bien eu lieu, sans contrôler l'appréciation en elle-même (Chambre criminelle 27 septembre 2005 n° 05-84.234).
Cet article n’est pas applicable à une personne faisant l’objet d’une ordonnance de mise en accusation.
Pour contester une détention jugée déraisonnable dans ce cas, il faudra donc fonder son action sur l’article 5§3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
Ce délai est calculé à compter du premier jour de privation de liberté.
Les droits et recours du détenu
Les détenus provisoires sont titulaires de plusieurs droits cités aux articles 22 et suivants de la loi du 24 novembre 2009 n°2009-1436. Figurent notamment dans cette liste le droit à la domiciliation à l’établissement pénitentiaire, le droit de vote, le droit au maintien des liens familiaux, le droit à la rémunération pour le prisonnier employé…
Les détenus ont le droit de recevoir des visites et de téléphoner à des tiers, ce droit étant subordonné à une autorisation du juge d’instruction.
Ce dernier pourra refuser une telle demande, et sera obligé de motiver ce refus au bout d’un mois de détention (article 145-4 du code de procédure pénale).
En cas de refus, les détenus disposent d’un recours auprès du président de la chambre de l’instruction qui dispose de 5 jours pour statuer.
Le président de la chambre d’instruction sera également compétent pour connaitre des recours contre les décisions de placement à l’isolement prises par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention (article 145-4-1 du code de procédure pénale) ou encore contre la décision du juge d'instruction interdisant au mis en examen de communiquer par écrit avec une ou plusieurs personnes qu’il désigne (article 145-4-2 du code de procédure pénale).
De manière générale, toute sanction disciplinaire détachable prise lors de la détention, si elle emporte, «eu égard à [sa] nature et à [sa] gravité », des effets sensibles sur la situation des intéressés, pourra faire l’objet d’un recours devant le juge administratif depuis un arrêt du Conseil d’État en date du 17 février 1995 (CE, Ass. 17 février 1995, Hardouin et Marie).
Il a ainsi pu être jugé que la décision de déclassement ayant pour objet de priver d'emploi un détenu pouvait être ainsi contestée devant le juge administratif (CE ass. 14 décembre 2007 Planchenault, n°290420).
Les demandes de remise en liberté
Une demande de mise en liberté peut être adressée au greffier du juge d’instruction ou au chef de l’établissement pénitentiaire à tout moment par le mis en examen, son avocat ou le Procureur de la République.
Une telle demande sera toutefois irrecevable si elle intervient alors qu’une demande de mise en liberté antérieure n’a toujours pas été traitée et que les délais ne sont pas échus.
Si le juge d’instruction ne donne pas de réponse favorable à cette demande, il doit transmettre le dossier accompagné de son avis motivé au juge des libertés et de la détention dans un délai de 5 jours.
Ce dernier aura alors 3 jours ouvrables pour statuer sur la demande. S’il ne parvient pas à statuer dans les temps, le demandeur pourra saisir directement la chambre de l’instruction de sa demande, qui aura à son tour 20 jours pour se prononcer. Le Procureur disposera de quatre jours pour faire appelle d’une décision accordant la remise en liberté.
Le juge saisi de la demande devra ordonner la mise en liberté immédiate du requérant dès que les conditions prévues aux articles 144 et 144-1 alinéa 1 du Code de procédure pénale ne seront plus remplies (article 144-1 du Code de procédure pénale).
Important: par une décision rendue le 2 octobre 2020 (décision QPC n°2020-858/859), le Conseil constitutionnel a estimé que l'absence d'un motif de remise en liberté basé sur les conditions indignes de détention était contraire à la Constitution. Le législateur a jusqu'au 1e mars 2021 pour procéder à la réforme des textes.
La mise en liberté pourra avoir lieu d’office lorsque :
La chambre de l’instruction n’a toujours pas statué dans les 20 jours qui lui sont impartis
Le mis en examen est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital
L’état physique ou mental du mis en examen est incompatible avec son maintien en détention (article 147-1 du Code de procédure pénale)
Si la demande de mise en liberté est accordée, elle pourra être assortie d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.
Les demandes en réparation
Si la procédure s’est achevée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, la personne ayant été détenue pourra former une requête auprès du président de la Cour d’appel du ressort de la décision afin d’obtenir une réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a été causé par la détention (articles 149 et suivants code de procédure pénale).
Cette requête devra être formée dans les 6 mois de la décision définitive. Le premier président de la Cour d’appel devra alors rendre une décision motivée à l’issue d’une procédure publique et contradictoire qui sera susceptible d’un recours devant une Commission nationale de réparation des détentions dans un délai de 10 jours après sa notification.
Dernière mise à jour: novembre 2020