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Laure Mazurier

Beaucoup de bruit pour rien: la responsabilité pénale des élus en période de pandémie

La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire comporte une disposition étonnante. Elle crée un article 3136-2 du Code de la santé publique (au sein des dispositions pénales de l'état d'urgence) prévoyant un aménagement des conditions d'engagement de la responsabilité pénale pour faute.

Soumis à de nombreuses obligations, dont celle de réouvrir les écoles et les collèges, les collectivités locales (mairies et départements en l'espèce) et leurs élus craignent que leur responsabilité pénale ne puisse être engagée. N'allait-on pas par exemple les tenir responsables en cas de contamination d'élèves ou de leur famille, voire de décès?


Passons sur le fait que ces parlementaires ont voulu créer une sorte d'amnistie par avance. Nous saurons nous en souvenir la prochaine fois qu'ils évoquent, pour les crimes et délits de droit commun, l'impunité dont jouiraient les mis en cause.


Nous insisterons ici sur l'inutilité non seulement de l'idée, mais encore du texte auquel elle a abouti. Le Conseil constitutionnel ne s'y est d'ailleurs pas trompé.


La responsabilité pénale pour faute: un régime protecteur des élus


Pour engager la responsabilité pénale d'un individu et caractériser une infraction, il faut réunir un élément matériel - l'acte en lui-même - et un élément moral. Celui-ci peut être de deux types selon l'infraction en cause: l'intention ou la faute.


S'agissant de la faute, son régime est prévu à l'article 121-3 du Code pénal. C'est notamment la faute caractérisée (quatrième alinéa) qui concerne les élus locaux. Pour pouvoir retenir l'existence d'une telle faute, il y a trois conditions à réunir: une faute caractérisée, qui n'est pas une simple négligence ou une imprudence, un risque pour autrui d'une particulière gravité, et le fait de ne pouvoir ignorer l'exposition d'autrui à ce risque. Ce régime est issu de la loi Fauchon du 10 juillet 2000, dont le but principal était précisément de rendre plus difficile l'engagement de la responsabilité pénale des élus locaux. Il est très restrictif, d'autant que le lien de causalité entre la faute et le dommage doit être direct.


D'ailleurs, on apprend dans un entretien de M. Dosière au Point (rapporteur de la loi Fauchon), que depuis le vote de cette loi, aucun élu n'a vu sa responsabilité pénale engagée pour une telle faute - la voie de la responsabilité civile reste bien entendu ouverte.


Ce constat fait, la nécessité de renforcer encore les conditions dans lesquelles une telle faute peut être caractérisée n'est pas évidente. Voyons encore en quoi la rédaction retenue par le législateur est vide de sens.


Une réforme superflue


L'article 3136-2 du Code de la santé publique créé par la loi du 11 mai 2020 dispose:

"L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur."


Toutes choses que bien sûr, les juges ne font jamais lorsqu'ils sont confrontés à des faits. Le législateur estime visiblement qu'il est nécessaire de rappeler au juge qu'il doit analyser les faits et la personnalité du mis en cause pour appliquer une disposition pénale.


Pris de remords, les parlementaires ont voulu vérifier que cette disposition légale ne fût pas contraire à la Constitution. Ils se demandaient notamment si cette création ne portait pas atteinte au principe d'égalité devant la loi; l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que "la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse".

Réponse du Conseil constitutionnel (décision n°2020-800 DC) qui ne manquera pas de rassurer tout le monde: "Les dispositions contestées ne diffèrent pas de celles de droit commun et s'appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi pénale" (§13).


***


Cette réforme, qui relève de l'affichage politique sans contenu, nous laisse songeurs concernant la qualité des textes rédigés par les parlementaires. Leur sagacité semble malheureusement devoir compter parmi les victimes du coronavirus.

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