Réforme de la prescription des infractions sexuelles: des délais en cascade
La loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste a été promulguée. Relativement courte, mais dense, elle apporte des changements concernant les infractions, ainsi que la procédure. Nous nous concentrerons ici sur le bouleversement apporté au calcul des délais de prescriptions.
Les délais de prescription de l'action publique en matière pénale sont régis par les articles 7 à 10 du Code de procédure pénale.
Les mécanismes qui les régissent en rendent le calcul souvent complexe; la réforme du 21 avril ajoute encore une strate de complexité, et aura des effets importants sur de nombreuses procédures, en cours et à venir.
Le droit de la prescription de l’action publique
Pour mesurer l’ampleur des effets de cette réforme, rappelons quelques principes fondamentaux du calcul des délais de prescription, ainsi que les règles actuellement en vigueur pour la prescription des infractions sexuelles sur mineur.
1) L'application immédiate des lois de prescription. Traditionnellement, en droit pénal, les lois nouvelles ne sont pas rétroactives: elle ne s'appliquent pas à des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur. Il n'y a rétroactivité qu'en cas de loi plus favorable pour l'auteur.
Les lois qui modifient les délais de prescription de l'action publique en revanche, sont d'application immédiate. Ainsi, si une réforme intervient avant que le délai de prescription pour une infraction ne soit arrivé à son terme, alors le nouveau délai s'appliquera à cette infraction et débutera à partir de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que le total ne puisse excéder la durée la plus longue prévue soit par la loi nouvelle soit pour la loi ancienne.
La réforme du 21 avril va donc concerner toutes les infractions non encore prescrites, et plus encore comme nous allons le voir.
Les interruptions et les suspensions des délais de prescription. La prescription vise à sanctionner et la passivité des justiciables et celle de l'institution judiciaire pendant cette période.
Dès lors que les autorités ou les justiciables agissent en revanche, l’écoulement des délais sera affecté.
L’article 9-2 du Code de procédure pénale prévoit les causes d’interruption de la prescription : les actes du ministère public ou des plaignants conduisant à la mise en mouvement de l’action publique, les actes d’enquête tendant à la recherche et à la poursuite des auteurs, tout acte d’instruction tendant à la recherche ou la poursuite des auteurs et enfin, tout jugement ou arrêt même non définitif.
Lorsqu’un délai est interrompu, il recommence à courir pour toute sa durée légale à partir de l’acte causant l’interruption.
L’article 9-3 du Code de procédure pénale prévoit lui que « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement de l’action publique, suspend la prescription ». Dans ces cas, contrairement à l’interruption, le délai recommence à courir au point où il s’était arrêté, au moment de la levée de l’obstacle.
2) Les règles de prescription des infractions sexuelles sur mineur avant la réforme. Depuis la loi n°2018-703 du 3 août 2018, le crime de viol commis sur mineur se prescrit par trente années à compter du jour de la majorité du plaignant et les agressions sexuelles et atteintes sexuelles (délits) commis sur mineur se prescrivent par vingt années à compter de la majorité du plaignant.
Ainsi, pour toutes les infractions concernées, des poursuites peuvent être lancées jusqu'aux 48 ans ou 38 ans des plaignants, selon que l'on soit en présence de viol d'une part, ou d'agression sexuelle ou d'atteinte sexuelle d'autre part.
Cette réforme de 2018, qui avait déjà pour but de soutenir les victimes en permettant à des enquêtes d'être lancées si longtemps après les faits, est donc déjà considérée comme insuffisante.
La présente réforme, issue d’une proposition de loi (c’est-à-dire à l’initiative des députés) fait suite au constat, notamment pour les infractions incestueuses, de la difficulté de porter les faits à la connaissance de l’institution judiciaire à temps, et du fait qu’il arrive que certains auteurs commettent plusieurs infractions sexuelles sur mineur au cours de leur vie.
Le contenu de la réforme
La loi du 21 avril 2021 modifie, en son article 10, les dispositions du Code de procédure pénale concernant la prescription de l'action publique.
D'abord, concernant l'article 7 du Code de procédure pénale qui prévoit la prescription pour les crimes, il est désormais prévu que "s'il s'agit d'un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l'expiration de ce délai, d'un nouveau viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction".
Concernant l'article 8 du même Code qui prévoit la prescription pour les délits: "s'il s'agit d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle commise sur un mineur, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l'expiration des délais prévus aux deuxième et troisième alinéas du présent article, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle, le délai de prescription de la première infraction est prolongé, le cas échéant, jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction".
Enfin, l'article 9-2 du Code de procédure pénale qui régit les cause d'interruption ou de suspension des délais, est enrichi: "Le délai de prescription d'un viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle commis sur un mineur est interrompu par l'un des actes ou l'une des décisions mentionnées aux 1° à 4° intervenus dans une procédure dans laquelle est reprochée à la même personne une de ces mêmes infractions commises sur un autre mineur".
Désormais, toute infraction sexuelle sur mineur verra son délai de prescription allongé pour s’aligner avec celui d’une infraction de gravité identique ou inférieure, commise ultérieurement par le même auteur. Le dernier mécanisme lui, permettra de faire bénéficier aux infractions sexuelles sur mineur commises par le même auteur, des mêmes causes d’interruptions si elles surviennent dans une des procédures au moins.
Les effets à prévoir pour les plaignants
Le mécanisme instauré par la loi du 21 avril 2021 va, à notre sens, bouleverser les procédures et enquêtes pour des faits d'infractions sexuelles commises sur mineurs.
Les faits non prescrits seront désormais très rares dans ce domaine si l'on prend en compte, en plus de cette présente réforme, tous les mécanismes de report du point de départ du délai à la majorité des plaignants, d'interruption des délais, et d'application immédiate des lois nouvelles.
L’ampleur de ce nouveau mécanisme est difficile à appréhender car il faut imaginer les cas d’imputation de l’allongement des délais à des séries d’infractions, par une sorte d'effet cascade.
Les enquêtes prendront une proportion encore plus importante que celle qu'elles revêtent aujourd'hui. Si une victime se fait connaître aux institutions judiciaires, il faudra, pour déterminer si l'infraction est prescrite, et donc avant même d'enquêter sur le fond des faits en cause, enquêter sur l'existence ou non de faits similaires commis par le même auteur.
Que l'on soit ou non favorable à l'existence de délais de prescriptions, que l'on considère ou non que les allonger soit une bonne chose pour les victimes, il faut au moins reconnaître que l'avènement d'un tel mécanisme est en complet décalage avec les moyens dont disposent les juges, procureurs et la police ou la gendarmerie pour conduire les enquêtes pénales en France.
Les réformes se succèdent, les créations d’infractions se multiplient, les délais de prescription sont sans cesse allongés, mais les moyens ne suivent pas, alors même qu'ils sont déjà anormalement bas pour un pays comme le nôtre.
Il est tout à fait nécessaire de lutter plus efficacement contre les infractions commises contre mineurs, infractions sexuelles, infractions incestueuses, et l'on ne peut nier que la réaction sociale et institutionnelle à ces faits n'est pas satisfaisante. Se contenter de changer les textes sans donner aux acteurs de l'institution la possibilité d'appréhender correctement les faits qui leurs sont soumis est au mieux inefficace, au pire contre-productif: devoir traiter toujours plus de dossiers à moyens constants n'est pas possible. La qualité, le nombre et l'aboutissement des enquêtes risquent donc de pâtir d'une telle réforme, au détriment des victimes, allant donc totalement à rebours de l'objectif visé.
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