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Laure Mazurier

Les libertés fondamentales au temps de la sécurité globale

Une proposition de loi pour "la sécurité globale" issue du groupe La République en marche vient d'être adoptée en première lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale.


Cette proposition de loi aborde plusieurs aspects de la sécurité intérieure. Le premier objectif est de réaménager la répartition des pouvoirs entre police nationale, municipale et services de sécurité privée. Un autre objectif poursuivi est celui de la réforme du cadre de la vidéoprotection ainsi que la création d'un cadre pour l'usage des drones. Enfin, notons l'apparition d'une nouvelle infraction souhaitée par les députés de la majorité: la diffusion d'images de policiers ou gendarmes en opération.


Nous nous concentrerons ici sur les deux derniers aspects, qui nous semblent porter des risques d'atteintes graves à plusieurs libertés publiques: le droit au respect de sa vie privée d'une part, la liberté de la presse et le droit à l'information d'autre part.


Le continuum de sécurité

Commençons par lire attentivement l'exposé des motifs qui accompagne cette proposition de loi.


Les députés auteurs y expriment leur souhait de l'émergence d'un "continuum de sécurité". Il renvoie à la volonté de mieux coordonner les différentes forces de l'ordre appelées à intervenir sur le territoire.

Il n'empêche, couplée à celle de "sécurité globale", cette expression interpelle.


L'émergence d'une société garantissant les droits se donnait plutôt comme horizon un continuum de libertés, interrompu le moins souvent possible par les nécessités de la sécurité.


Relisons par exemple l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789:

"Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression."

Notons que la notion de sûreté n'est absolument pas synonyme de celle de sécurité. Bien au contraire, elle désigne la protection des citoyens contre l'arbitraire de L’État, notamment dans le domaine de la répression pénale et donc, dans le domaine où L’État exerce ses prérogatives au nom de la sécurité.


L'utilisation des drones

Les oiseaux, A. Hitchcock, 1963

L'usage des drones est régi par un arrêté du 17 décembre 2015 qui, en son dernier article, prévoit:

"Les aéronefs qui circulent sans personne à bord appartenant à l'Etat, affrétés ou loués par lui et utilisés dans le cadre de missions de secours, de sauvetage, de douane, de police ou de sécurité civile peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l'ordre et de la sécurité publics le justifient.". Ce cadre est pour le moins lacunaire.


C'est dans cette situation de cadre quasi-inexistant que les autorités publiques avaient commencé à utiliser des drones, à l'occasion de manifestations sur la voie publique, et pour surveiller le respect des mesures de confinement au mois de mars.


Par une ordonnance rendue le 18 mai 2020, le Conseil d’État avait enjoint l'Etat à mettre fin à cet usage des drones hors de tout cadre réglementaire satisfaisant. Il avait aussi noté que l'utilisation de ces appareils, dotés de logiciels de reconnaissance faciale, constituait un traitement de données à caractère personnel: le Règlement général sur la protection des données trouve donc à s'y appliquer.


La proposition de loi vise en son Titre III, article 22, à créer un cadre juridique pour l'usage des drones, ou caméras aéroportés, codifié dans le Code de la sécurité intérieure.


Les finalités de l'utilisation de ces engins pour capter et enregistrer des images sont définies en ces termes:

"les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images aux fins d’assurer :

1° A La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants ;

1° La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public, ainsi que l’appui des personnels au sol en vue de maintenir ou de rétablir l’ordre public ;

2° La prévention d’actes de terrorisme ;

3° Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ;

4° La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ;

5° La protection des intérêts de la défense nationale et des établissements, installations et ouvrages d’importance vitale mentionnés aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense ;

6° La régulation des flux de transport ;

6° bis La surveillance contre les comportements mentionnés au I de l’article L. 236-1 du code de la route ;

7° La surveillance des littoraux et des zones frontalières ;

8° Le secours aux personnes"


A lire cette liste, on peine à imaginer une situation dans laquelle l'utilisation des drones ne sera pas possible.


En outre, il est prévu que "Les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné", sans qu'il soit précisé à cette occasion quels agents seront autorisés à visionner ces images.


Finalement, et contrairement au cadre actuel de la vidéoprotection, il n'est pas prévu pour les drones de mécanisme de contrôle, par la transmission de rapports d'activité à la CNIL par exemple.


S'agissant d'outils ayant une précision de caméra très importante, et une capacité d'action très étendue, les risques d'atteinte au droit au respect de la vie privée sont sérieux. Le texte ne présente pour l'instant pas les garanties qui rendraient ce traitement massif de données personnelles acceptable.


La diffusion d'images de policiers et gendarmes en opération

L'article 24 de la proposition de loi prévoit la création d'un nouveau délit, qui figurera dans la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Il est prévu l'insertion d'un article 35 quinquies ainsi rédigé:


"Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d'identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police."


La loi de 1881 a pour objet de garantir a liberté de la presse et la liberté d'expression en général, et de délimiter strictement les cas d'abus par des infractions pénales.


Ici, ce nouveau délit n'interdit pas à proprement parler de filmer mais bien de diffuser les images c'est-à-dire de les rendre publiques. Plusieurs difficultés se révèlent.


D'abord, la notion d'atteinte psychique paraît très large et pourrait être très fréquemment invoquée pour enclencher une réponse pénale.


Ensuite, contrairement aux autres délits figurant dans la loi sur la presse et qui visent des abus du discours (atteintes à l'honneur, provocations, discours racistes, sexistes, négationnistes,...), ce nouveau délit vise lui la diffusion d'informations qui relèvent de l'ordre des faits et qui constituent très souvent des informations d'intérêt public.


Les juges saisis de tels faits opèreraient probablement un contrôle de proportionnalité au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et son article 10 qui garantit la liberté d'expression et son corollaire, le droit des citoyens à l'information. Toutefois l'existence même d'un tel délit pose problème symboliquement et en ce qu'il soumet de nombreux citoyens, dont des journalistes, à un risque pénal important, et qui ne semble pas légitime.


En parallèle de cette nouvelle interdiction de diffusion d'images d'agents en opération par les citoyens, les députés ont créé un nouvel instrument de communication, entre les mains de l'administration.


Ainsi, l'article 21 de la loi prévoit une nouvelle finalité pour les enregistrements issus des caméras mobiles portées par les forces de l'ordre: les images ainsi captées, en plus de pouvoir être utilisées pour le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs, la formation et la pédagogie des agents, pourront l'être pour "l'information du public sur les circonstances de l'intervention".


Dès lors, la diffusion d'images de policiers et gendarmes en intervention sera très difficile pour les citoyens et tombera quasiment exclusivement dans les mains de l'administration. Plus besoin de la presse si l'administration prend en charge l'information du public...


Une telle situation ne saurait être satisfaisante dans une société démocratique, sauf à considérer acceptable que l'information de puisse être diffusée qu'à partir d'une seule source, étatique.

 

Liens utiles

Vous pouvez lire le texte de la proposition de loi tel qu'adopté en première lecture par la commission des lois de l'assemblée nationale.


Vous pouvez par ailleurs lire l'avis qu'a rendu le Défenseur des droits au sujet de cette proposition de loi:

Vous trouverez sur cette page le communiqué de presse accompagnant cet avis.


Nous vous invitons enfin à lire cette contribution de la CNIL au débat sur les usages de la reconnaissance faciale, en date du 15 novembre 2019:

Vous pouvez relire notre article du mois de mai sur l'usage des drones pendant le confinement: Qui surveille les drones?

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